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Dr Pierre Boquel : Violence linguistique et pathologie

Dr Pierre Boquel : Violence linguistique et pathologie

Avec ses interventions lors du colloque organisé par l’IEO à Tarbes en 2009, puis en 2010, de nouveau à Tarbes, sur l’invitation du Conseil général des Hautes-Pyrénées, le Dr. Pierre Boquel marque son temps par un regard nouveau sur la situation de diglossie de l’occitan par rapport au français, sur le processus sciemment mis en place pour arriver à éradiquer cette langue, en étudiant les conséquences mentales et physiques que la (re)-pression exercée sur la langue occitane a pu avoir sur ses locuteurs. Cette prise de conscience est nécessaire pour analyser la situation et reconquérir nos locuteurs perdus .

Nous présentons ici une brève biographie, et deux documents (dont l’introduction), qui doivent se lire en parallèle : une présentation avec des transparents simples pour être efficaces, et un texte, à parcourir en s’appuyant sur ceux-ci. La prise de conscience est inévitable, elle semble nécessaire pour notre santé !

* L’homme tout d’abord (ces informations ont été recueillies sur la plaquette de présentation de la formation au CRESMEP (Centre de Psychosomatique Relationnelle de Montpellier http://www.atpr.info)).


Le Dr Pierre Boquel est diplômé d’un D.U en Thérapie de Relaxation en Psychosomatique, D.U en Recherche et Relation (Toulouse, service de psychiatrie du Pr Schmitt), D.U en Santé Publique et en Pédagogie
Existentielle, diplômé en Relaxation Psychosomatique du Centre International de Psychosomatique de Paris.

Il enseigne au CRESMEP, Centre de Psychosomatique Relationnelle de Montpellier, organisme de formation qu’il co-dirige une autre médecin psychosomaticien, le Docteur Danielle Froment.

Le CRESMEP forme le personnel soignant du milieu hospitalier et extra hospitalier (médecins, psychologues, psychothérapeutes, infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes...) à la dimension psychosomatique.
De plus en plus de maladies, organiques ou fonctionnelles, apparaissent lors de situations de vie conflictuelles en lien avec un fonctionnement propre au sujet. Cette dimension n’est actuellement pas élaborée par la médecine. Pourtant, à partir de la clinique, la prise en compte de ces éléments permet une nouvelle approche de la personne malade.
La pathologie se conçoit alors dans une double appartenance au psychique et au somatique.
La Psychosomatique Relationnelle se définit dans ce cadre comme une discipline ouverte visant à inscrire la pathologie dans une approche globale du patient. La relation devient la base d’un travail spécifique, accessible au soignant et adapté à la position qu’il occupe dans la relation.
Dans cet accompagnement, le travail corporel proposé s’harmonise alors avec le mouvement relationnel dans lequel le malade récupère ses potentialités et retrouve une unité psychosomatique.
Le travail corporel en psychosomatique, dans lequel s’inscrit la relaxation mais dont le concept ne se réduit pas à la notion de détente, se définit comme une thérapie relationnelle à médiation corporelle élaborée selon un modèle théorique dont la qualité majeure est d’être opératoire directement en clinique et accessible à tout soignant travaillant dans la relation.

*Reprenons maintenant l’introduction aux documents que vous retrouverez en téléchargement ci-après (dans "violence linguistique et pathologie") :

"Ma recherche porte depuis plusieurs années sur les processus pathologiques susceptibles d’être liés à une réduction linguistique. Par réduction, il faut entendre l’interdiction de la langue première et l’imposition d’une langue « officielle » à une population, ce qui implique l’impossibilité pour ces deux langues de coexister. Il ne s’agit donc pas de prendre en compte l’usage d’une langue qui prendrait le dessus sur une autre plus faible, mais d’étudier une situation d’éradication linguistique. Ceci amènera, une fois l’éviction menée à son terme, le locuteur à vivre un paradoxe que peut exprimer la phrase de Jacques Derrida : « Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne » (Derrida, 1996). Ce paradoxe touche tous les plans de l’être et je montrerai qu’il constitue une véritable vulnérabilité à la pathologie.
Lorsqu’une langue est interdite et ne peut se transmettre, il est important de se poser la question des conséquences, des effets immédiats, mais aussi plus lointains au travers des générations, de cette absence de transmission sur les membres d’une collectivité.
Chez les personnes ayant renoncé à parler leur langue première, on retrouve régulièrement le sentiment de honte vis-à-vis de la langue d’origine. Il est alors essentiel de se poser la question non seulement de l’origine de la honte - comment une telle émotion a-t-elle pu advenir ? - mais aussi ce qu’elle produit car elle contribue aussi à rompre toute transmission. Comme le dit le neuropsychiatre Borys Cerulnyk dans « Mourir de dire » (Cyrulnik, 2010), « Le sentiment de honte est le plus sur moyen de ne pas dire, de ne pas transmettre. Le silence est protecteur. » La honte peut-elle détruire une personne ou du moins être responsable d’effets morbides ?
Et, si oui, par quels mécanismes pathologiques ? Comment s’inscrit-elle dans cette chaîne mortifère ?
Si fréquemment présente dans le recueil des témoignages, la honte préfigure la position centrale de l’affect dans une problématique complexe à laquelle prend part la langue maternelle et qui lie cette dernière à la pathologie. C’est le sujet de cette étude en psychosomatique relationnelle.
Selon Boris Cyrulnik, la honte est une émotion provoquée dans le corps par une représentation particulière. Cette représentation est une représentation d’images ou de mots (comme l’injure), mais aussi elle peut faire partie d’un ensemble de représentations culturelles. Rapporté à notre sujet, si une culture peut fabriquer des représentations productrices de honte en rapport avec la question linguistique, on peut penser qu’elles ont une fonction dans le maintien et la stabilisation d’un monolinguisme d’état.
Mais comment la honte advient-elle chez les personnes ? On retrouve la honte dans les témoignages des derniers locuteurs occitans mais aussi dans d’autres collectivités : Hannah Arendt cite les Allemands exilés après la Guerre aux Etats-Unis qui, pour couvrir ce sentiment, avaient recours à une langue seconde de manière fonctionnelle et froide (Arendt, 2000). Il y a un point commun avec mon propos, l’exercice d’un interdit sur sa langue première est, soit imposé par l’extérieur (par une partie de la population sur une autre ou un colonisateur sur un peuple), soit résulte d’une auto-répression. Pour les Allemands exilés, celle-ci est la conséquence d’une culpabilité liée aux exactions de la dernière guerre.
A l’instar d’autres collectivités régionales, pour comprendre la honte chez le locuteur occitan ainsi que d’autres troubles qui peuvent l’accompagner, il faut remonter à la politique de réduction linguistique mise en place par la Convention en 1790, dont l’objectif était ouvertement l’imposition d’un monolinguisme d’Etat. À l’évidence, dans cette imposition et dans les moyens qui ont été employés pour faire taire les langues régionales, on a reconnu une violence. Une violence dont la particularité est d’être autant symbolique que physique ; une violence qui s’étale dans le temps, source de frustrations, de traumatismes psychiques plus ou moins importants, accompagnés de sentiments de honte et de culpabilité.
Or nous savons que tout traumatisme peut engendrer des pathologies à court ou moyen terme, certaines sont même parfois d’apparition très tardive par rapport aux évènements déclencheurs. Les connaissances actuelles sur l’état de stress post-traumatique montrent qu’une pathologie est susceptible de survenir chez le sujet exposé plus de trente ans après la survenue du facteur traumatisant. Cette période de silence est appelée « temps de latence » et, avec un certain humour, « période de méditation, d’incubation ou de rumination » (Barrois, 1998, p 24). Ce temps de calme apparent est variable d’un sujet à l’autre et il est probable que ce phénomène se retrouve aussi sur le plan collectif, c’est-à-dire que l’état de stress post-traumatique peut concerner un groupe, une communauté et s’étendre par répercussion sur plusieurs générations.

Il s’agit ici d’un contexte traumatique qui a duré des décennies et, sur le plan de la logique médicale, il semble très improbable que des pathologies n’y soient pas liées. Il est étonnant de constater l’absence d’étude concernant ce sujet et l’on peut expliquer ce peu d’intérêt par la pression encore prégnante d’un refoulement culturel (Sami-Ali, 1988, Mohia, 2008, Fermi, 2010).
Même si, à cause de l’échelle de temps qui sépare les troubles des situations traumatiques initiales, on sait qu’il est très difficile d’établir scientifiquement un lien de causalité linéaire, des corrélations peuvent être faites."

Bonne lecture !

 
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